L'origine du violon - Légende hongroise


Il y a très, très longtemps, régnait sur la Hongrie un roi qui adorait son peuple et ne cessait de s'occuper de son bien-être. N'ayant qu'une fille, ce roi modèle désirait la voir épouser un prince intelligent et bon, qui la rendît heureuse et continuât son oeuvre.

Bien des princes étrangers aspiraient à la main de la jolie princesse, et le roi se trouvait embarrassé. Un jour, il les fit tous mander en son palais et leur dit :

— Nobles princes, vous avez tous des qualités de courage, de persévérance et de bonté, aussi m'est-il fort difficile de choisir parmi vous un époux pour la princesse. J'ai donc décidé de donner ma fille bien-aimée à celui d'entre vous qui lui offrira un bel objet, inconnu jusqu'à ce jour et qu'il aura confectionné de ses propres mains.

Maints jeunes gens, ne connaissant que l'art de la chasse et de la guerre, se retirèrent déçus. D'autres adressèrent à la princesse quantité d'objets qui n'étaient pas toujours beaux et jamais entièrement nouveaux et devant un tel manque d'imagination, le roi commençait à désespérer de trouver le gendre souhaité. De son côté, la princesse se faisait plus triste de jour en jour, car elle craignait que l'exigence de son père ne la contraignît à devenir vieille fille...

Les mois passaient et :ou- jours le ministre du roi hochait négativement la tête lorsqu'un prince venait s'enquérir si l'objet soumis avait reçu l'approbation du souverain.

Parmi tous les prétendants se trouvait un jeune prince, second fils d'un roi en exil, qui était tombé éperdument amoureux de la princesse, mais se sentait, hélas, incapable d'inventer quoi que ce fût d'exceptionnel et se désolait de ne pouvoir épouser la jeune fille de ses rêves. Certes, le prince composait de fort jolis vers, car son âme sensible vibrait à la poésie, mais pour conquérir sa princesse, le plus beau poème n'était rien auprès d'un objet inédit, fût-il humble; aussi le jeune homme se prenait-il à regretter de n'être pas né simplement ouvrier...

Un jour qu'il se promenai. près d'un lac et regardait tristement les arbres se refléter dans l'eau, il entendit ces paroles :

« Ne désespère pas. Tu es digne de la princesse et de régner sur le beau royaume de Hongrie ! »

A sa profonde stupéfaction, le prince, qui regardait de tous côtés pour trouver d'où pouvait bien venir cette voix qui répondait à ses aspirations secrètes, vit tout à coup sortir de l'onde une naïade qui lui tendit un coffret plat de bois noir et deux bâtonnets de différentes grandeurs. La belle inconnue, arrachant alors plusieurs de ses longs cheveux d'or, poursuivit :

— Attache le petit bâton sur le coffret et, par-dessus, tends ces cheveux. Tends-en également quelques-uns sur l'autre bâton. En glissant ce dernier sur le coffret, tu obtiendras une musique divine qui séduira la princesse et impressionnera favorablement le roi à ton égard.

Le prince fit comme le lui conseillait l'inconnue et, retenant son souffle, glissa avec une précaution infinie le long bâton sur les fils d'or. Le son qu'il rendit parut au jeune homme si merveilleux qu'il lui sembla tenir du miracle.

— Je suis la Fée Violaine, déclara sa bienfaitrice, et je désire qu'on nomme ce nouvel instrument un violon. Hâte- toi, à présent, beau prince, et soi heureux !

— Mais... hasarda timidement le jeune homme, pris de scrupules, ce n'est pas moi qui ai inventé, ni même façonné le violon de mes propres mains, comme l'exigeaient les conditions royales...

— Rassure-toi, lui dit encore la fée. Nul se songera à te demander d'où t'est venue cette inspiration; car tous seront sous le charme de ta musique et du don que je te lègue de jouer du violon. Pour récompenser la fidélité de tes sentiments envers la princesse.

Puis, quand le jeune homme l'eut remerciée avec effusion, l'eau se referma sur elle, et le silence retomba. Serrant alors contre son coeur le précieux instrument, le prince s'en fut au palais, où il obtint audience aussitôt.

Lorsque le roi entendit le son merveilleux du violon, qui semblait tour à tour rire et pleurer et évoquait avec tant de douceur et de grâce le murmure du vent dans les arbres, le chant de la source limpide, le gazouillis des oiseaux et les sentiments des hommes, il tendit au prince sa main à baiser et fit mander sa fille sur-le- champ.

Très émue, la princesse contempla longuement le violon, symbole de son bonheur, et elle vit dans les yeux de son fiancé radieux le reflet de son propre amour tandis qu'il jouait pour elle, rien que pour elle, tout ce que sa vue inspirait à son coeur, toute la poésie qui chantait en lui et que le violon exprimait tellement mieux que des paroles...

Un mois plus tard, la Hongrie en liesse célébrait le mariage du jeune couple et, du plus grand au plus humble, chacun vint admirer le violon magique qui reposait sur un coussin de velours rouge, n'attendant qu'un geste du prince pour réjouir et émouvoir l'âme de tout un peuple.

Le violon se répandit bientôt de pays en pays. Partout, il charma tous ceux qui l'écoutaient dans un silence recueilli, mais toujours il resta fidèle à sa patrie et à ses tziganes qui chantent si merveilleusement l'âme hongroise.

Ginette GIOT.

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