La Musique folklorique canadienne-française

Musique folklorique canadienne-française. Toute littérature écrite est l'oeuvre d'une élite intellectuelle qui possède un certain degré d'aisance. C'est pourquoi, au Canada, la littérature ne s'est manifestée qu'après que la conjoncture historique lui ait été favorable. Mais la littérature orale, elle, est un ensemble d'oeuvres transmises et recréées par le peuple, comportant des éléments stables et anciens mêlés aux variantes locales et récentes, et, dans certains cas, des créations actuelles sur des mélodies connues. Il ne peut donc pas être question de rupture, d'interruption comme pour la littérature écrite. Les ancêtres ont perpétué la culture traditionnelle qui fait partie de leur patrimoine intellectuel, que ce soit en Europe ou en Amérique. En outre, les aïeux de ces mêmes ancêtres étaient présents dans l'ancienne France au moment de la composition des chansons de tradition orale. Qui peut dire s'ils n'y ont pas participé et même s'il n'y a pas des descendants des auteurs parmi la population? N'y a-t-il pas eu des compositions au Canada dans la plus pure tradition médiévale comme « Bal chez Boulé », « Les Raftsmen », « Vive la Canadienne », etc.? C'est là un héritage culturel que les Canadiens français possèdent en commun avec tous les pays de langue française.

Cependant, toute chanson traditionnelle n'est pas nécessairement exclusive à une ethnie : un certain nombre se retrouvent dans des versions parallèles, non seulement en français mais aussi en anglais, en allemand, en espagnol, etc. Elles ont eu une diffusion plus vaste que ne l'ont cru les premiers folkloristes au XIXe siècle. Pour eux, elles avaient une origine locale et même nationale. On peut expliquer que des enquêteurs qui oeuvrent dans des régions données aient eu tendance à valoriser leur patelin en publiant des recueils de province, ce qui a contribué à propager l'idée régionaliste. Au XXe siècle, nous savons qu'il existe un répertoire commun à tous les pays francophones. L'erreur régionaliste a été si bien dénoncée qu'il n'est plus permis de diviser géographiquement cette matière poético-lyrique. Il faut maintenant l'ordonner d'après des principes plus logiques. Par conséquent, une meilleure idée de la chanson folklorique française au Canada se dégagera de l'examen, dans une perspective historique, des témoignages anciens et des résultats d'enquêtes et d'études récentes effectuées dans le cadre des centres de recherche.

Les premiers Français qui foulèrent le sol de l'Amérique, de même qu'ils continuèrent de parler leur langue, ne se privèrent pas de chanter des chansons folkloriques et littéraires comme on le faisait en France. Depuis, ils n'ont jamais cessé de participer au répertoire francophone en le conservant et en l'enrichissant. Cela allait si bien de soi que personne ne le signalait. Les premiers échos que nous en avons nous viennent de visiteurs étrangers qui entendirent les « voyageurs canadiens ». On appelait ainsi les canotiers, les coureurs de bois et les voyageurs des « pays d'en haut » engagés pour la traite des fourrures. Ils chantaient pour rythmer la cadence des avirons et aussi pour se donner du courage. Les chants de ces voyageurs canadiens faisaient l'admiration des touristes qui venaient au Canada aux XVIIIe et XIXe siècles. Le poète irlandais Thomas Moore, naviguant de Kingston à Montréal en août 1804 s'émerveilla devant le spectacle de ces hommes ramant d'accord et chantant en choeur dans le décor grandiose du fleuve Saint-Laurent, si bien qu'il mémorisa quelques-unes de leurs chansons pour les apprendre à sa soeur. C'est pendant ce trajet qu'il composa son « Canadian Boat Song ». En 1817, John Bradbury signalait qu'il avait entendu durant son voyage des canotiers chanter les « Trois beaux canards » (Travels in the Interior of America, in the year 1809, 1810 and 1811, Londres 1817; 2e édition 1819, p. 20-21). Le lieutenant George Back, durant l'expédition dans l'Arctique du capitaine John Franklin, recueillit des voyageurs canadiens plusieurs chansons qu'il envoya en mars 1823 à Edward Knight fils. Ce musicien habilla les mélodies d'un accompagnement pour piano et George Soane et J.B. Planche composèrent des paroles anglaises jugées plus typiques que les originales; et le tout fut publié à Londres sous le titre Canadian airs (1823). John Mactaggart releva une version de 12 couplets de la « Fille au cresson » (Three Years in Canada, Londres 1829, vol. II, p. 255-256). Un immigrant anglais d'ascendance suisse et italienne, Edward Ermatinger, recueillit avant 1830 onze chants de canotiers avec mélodies et paroles au complet. Le Royal Ontario Museum (Toronto) possède un manuscrit signé Edward M. Hopkins (1861) dont les neuf chansons semblent avoir été copiées sur Ermatinger. Le samedi 19 novembre 1836, le journal hebdomadaire The Albion de New York publiait anonymement « À la claire fontaine » sous le titre « Original Canadian Boat Song », paroles françaises et musique avec accompagnement pour piano.

Bien d'autres ont noté des chansons dans leurs récits de voyage : Mme Jameson (Winter Studies and Summer Rambles in Canada, Londres 1838, vol. III, p. 111-113), James H. Lanman (« The American fur trade », The Merchant's Magazine and Commercial Review, New York, septembre 1840, p. 189), R.M. Ballantyne (Hudson's Bay, Édimbourg 1848), John Jeremiah Bigsby (The Shoe and Canoe..., Londres 1850, vol. II, p. 81, 321-322) et Johann Georg Kohl (Kitchi-Gami, Londres 1860). Ce dernier raconte la légende de Cadieux (« Petit rocher de la haute montagne ») en citant des vers de la complainte. Parmi les étrangers qui, de passage à Québec, observèrent cette survivance folklorique, il faut aussi tenir compte des personnalités françaises comme Alexis de Tocqueville, Alphonse de Puisbusque, Xavier Marmier qui publia Chants populaires du Nord... (Paris 1842), Jean-Jacques Ampère, etc.

D'après les nombreux témoignages des voyageurs étrangers, Conrad Laforte a établi le « Répertoire authentique des chansons d'aviron de nos anciens canotiers (voyageurs, engagés, coureurs de bois) » (Présentation à la Société royale du Canada, 1982-83). Ces rudes travailleurs adaptaient au rythme de l'aviron des chansons de danse médiévales qui racontaient surtout des mésaventures féminines. Ces mêmes voyageurs, engagés à la traite des fourrures, et plus tard les forestiers (bûcherons, draveurs) ont chanté les misères de leurs métiers. Un recueil de ces chants a été publié en 1982 par Madeleine Béland et Lorraine Carrier-Aubin (Chansons de voyageurs, coureurs de bois et forestiers).

Les écrivains canadiens, comme ceux de France à l'époque, avaient pris l'habitude de citer des chansons dans un souci de couleur locale. Les écrivains d'Europe les employaient pour évoquer les paysans mais, au Canada, c'était pour dépeindre surtout les coureurs de bois et voyageurs des pays d'en haut. Philippe Aubert de Gaspé, père et fils, Patrice Lacombe et plusieurs autres romanciers eurent plus ou moins recours à ce procédé littéraire de couleur locale. On constate aussi que dans les recueils populaires on consacrait une partie importante aux chansons de voyageurs canadiens dont les airs et le rythme s'adaptaient si bien au mouvement des avirons.

Dans les pays d'Europe comme en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Espagne, on avait déjà, dès le début du XIXe siècle, fait des recueils importants de chansons et ballades nationales ou populaires. Mais en France, ce n'est qu'en 1853 que le ministre de l'Instruction publique et des Cultes, Hippolyte Fortoul, incita la section de philologie du Comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France à entreprendre une vaste enquête en vue de recueillir toutes les chansons populaires françaises. Jean-Jacques Ampère fut chargé de rédiger les Instructions relatives aux poésies populaires de la France qui parurent en août 1853 à Paris. Le Journal de Québec en publia une partie (27, 29 et 31 décembre 1853, 10 janvier 1854). Le résultat immédiat fut la parution à Québec en 1854 d'un supplément du Chansonnier des collèges de 104 pages contenant surtout des chansons folkloriques. J. & O. Crémazie édita une collection de sept Chants canadiens (1856?), avec accompagnement pour piano probablement d'Antoine Dessane. En 1856, après la mort de Fortoul, le Comité abandonna l'enquête qui s'éteignit officiellement. Mais de nombreux chercheurs dans toutes les provinces de France, ne pouvant faire part autrement de leur cueillette, publièrent des recueils provinciaux. À Paris, Champfleury, avec l'aide de J.-B. Weckerlin, publia un recueil qui ressemblait à l'échantillon de celui que le gouvernement n'avait pu faire : Chansons populaires des provinces de France (1860). L'ouvrage était divisé par provinces. Le Canada bien entendu n'y figurait pas. Alors un Canadien, François-Alexandre-Hubert LaRue répondit dans Le Foyer canadien (1863) par un article, « Les Chansons populaires et historiques du Canada », où il commentait l'ouvrage de Champfleury, montrant que les chansons présentées comme particulières à telle province étaient bel et bien chantées couramment avec des variantes au Canada français. Il en présentait un bon répertoire mais sans musique. La réaction de l'écrivain réaliste ne se fit pas attendre : il envoya une lettre insistant sur la nécessité d'ajouter les mélodies. LaRue fit part de cette demande à Ernest Gagnon qui produisit Chansons populaires du Canada (Québec 1865).

Musicien et polémiste à ses heures, Gagnon venait de participer activement à la campagne pour la restauration du grégorien déclenchée au Québec par la publication à Paris en 1860 du volume de l'abbé Pierre-Minier Lagacé, Les Chants d'Église, harmonisés pour l'orgue suivant les principes de la tonalité grégorienne. Dans les « Remarques générales » de son recueil de chansons se trouvent la suite et la conclusion de ces discussions. Tout l'ouvrage sert à démontrer que les chants du peuple de nos campagnes ne sont pas un reste de barbarie et d'ignorance mais une des formes les plus nobles de l'art musical, celle de la tonalité grégorienne avec ses échelles modales et son rythme propre. Ce n'est donc pas l'oeuvre d'un folkloriste qui se propose de recueillir l'ensemble des chansons populaires d'une région donnée, mais bien celle d'un musicien qui veut soutenir une thèse sur la musique populaire comparée au grégorien. Gagnon nous en avertit en ces termes : « Le nombre de nos chansons populaires est incalculable. Ce volume en contient juste cent, que j'ai choisies parmi les plus connues et parmi celles qui offrent un type particulier. »

Au point de vue musical, Gagnon fut un innovateur. En France, des musiciens comme Weckerlin publiaient des mélodies populaires en les surchargeant d'accompagnement pour piano. De nos jours, on les blâme pour cette pratique si peu scientifique. Ernest Gagnon fut l'un des premiers à s'y opposer en présentant les mélodies populaires a cappella. Il écrit que l'harmonie « ne doit être ajoutée aux chants populaires qu'avec beaucoup de tact et de goût »; que, très souvent, « elle en gêne l'allure et le rythme, quand elle n'en détruit pas complètement la modalité »; et que, « dans les conditions actuelles de la science, il vaut mieux, le plus souvent, qu'elle ne paraisse pas du tout ». Par souci d'authenticité, Gagnon alla jusqu'à noter les appoggiatures. Comme certains chanteurs et professeurs de chant se sont plaints, il enleva ces fioritures à la deuxième édition (1880). L'ouvrage de Gagnon, contenant 104 chansons et 122 mélodies, fut donné en prime aux abonnés du Foyer canadien. Il parut en six livraisons de février 1865 à février 1867. Le retard des deux derniers fascicules permit à l'auteur de faire des additions et des rapprochements avec les recueils français de Bujeaud (1863-64), de Durieux et Bruyelle (1864), de Damase Arbaud (1862-64), de H. Murger, dans Les Vacances de Camille, et d'ajouter des variantes de collaborateurs et d'informateurs de dernière heure.

Les musiciens et les spécialistes de la chanson populaire le signalèrent dès le début comme un modèle et un classique français du genre. Les écrivains et les littérateurs canadiens le vantèrent avec une fierté toute nationale. La renommée du recueil de Gagnon augmenta d'année en année chez les musiciens. Elle suivit la même courbe chez les folkloristes. Dès 1884, Anatole Loquin le classait sans aucune réserve parmi les recueils français (« Notes et notules sur nos mélodies populaires », Mélusine).

Encore au XXe siècle, Patrice Coirault écrivait dans son appréciation d'Ernest Gagnon : « Avec l'oeuvre de Bujeaud, celle de Smith et quelques autres, cette collection, excellente au point de vue artistique, amassée par un folkloriste musicien, est l'un des premiers et solides piliers sur quoi le monument de notre trésor poético-musical de tradition orale s'est bâti » (Notre chanson folklorique, Paris 1941). Sur ce point, Coirault s'accorde avec les folkloristes français. Aucun ouvrage sérieux sur la chanson populaire ne s'est écrit depuis, en France, sans citer le recueil de Gagnon. Thomas Chapais, résumant les nombreuses louanges et appréciations tant du Canada que de la France, écrivait : « On a tout dit sur son volume Chansons populaires du Canada, que l'on peut appeler, dans son genre, un monument national, et qui a révélé à la France, plus que bien d'autres manifestations peut-être, le fait merveilleux de la survivance française au Canada » (« Ernest Gagnon », Mémoires et comptes rendus de la Société royale du Canada, Ottawa 1916). En 1989, Gordon E. Smith a soutenu une thèse de Ph.D. à l'Université de Toronto, « Ernest Gagnon (1834-1915) : musician and pioneer folksong scholar ».

Il y eut à l'époque à Québec beaucoup de collectionneurs de chansons. Parmi au moins 17 recueils manuscrits retrouvés (dont la liste se trouve dans La Chanson folklorique et les écrivains du XIXe siècle de Conrad Laforte, 1973), il faut signaler celui de Benjamin Sulte daté de 1858 intitulé « Chansons populaires » et, le plus important, les « Annales musicales du Petit Cap » compilées après 1865 par Mgr Thomas Hamel, conservé aux archives du séminaire de Québec. On compte pour la même période une trentaine de petits chansonniers imprimés, mais la plupart sont sans musique et les chansons littéraires y sont mêlées aux folkloriques, comme La Lyre canadienne (Québec 1847), Le Chansonnier des collèges (Québec 1850 et 1854), Recueil de chansons canadiennes et françaises (Lovell 1859), etc. Mais celui de Gagnon était le recueil par excellence. Toute l'élite intellectuelle du Canada crut qu'il contenait toutes les chansons du Canada. Il fallut attendre 72 ans avant qu'un autre recueil de chansons folkloriques de cette importance paraisse.

Il s'est fait cependant quelques études. Edme-Jacques-Benoît Rathery dans le journal Le Français (Paris 1874) fit paraître « Chants populaires des Canadiens français ». Un Canadien anglais, William Wood, fit en 1896 pour la Société royale du Canada une étude de la chanson française au Canada. Il faut aussi signaler l'étude d'Ernest Myrand sur les Noëls anciens de la Nouvelle-France (1899). En 1909, Cyrus MacMillan soutenait à l'Université Harvard (Cambridge, Mass.) une thèse de 1109 pages, « The Folk Songs of Canada », où il n'est question que des chansons françaises du Canada.

Marius Barbeau, anthropologue au service du gouvernement canadien depuis 1911, avait pour fonction d'étudier les Amérindiens. Lors d'un congrès, un de ses collègues des É.-U., Franz Boas, à la recherche des influences européennes chez les Amérindiens, attira son attention sur le folklore français de ses compatriotes canadiens en lui posant la question suivante : « Les Canadiens français ont-ils conservé leurs anciennes traditions orales? Y a-t-il encore, en Canada, des anciennes chansons, des contes, des légendes et des croyances populaires? » En réponse, dès 1914, Barbeau commença donc à recueillir des contes populaires au Québec. Et, en 1916, il fit ses premiers enregistrements de chansons folkloriques. Il se rendit compte rapidement après quelques sondages qu'on pouvait recueillir des chansons jusque-là inédites, non comprises dans l'ouvrage de Gagnon. La première région explorée par Barbeau fut le comté de Charlevoix. Il s'y rendit en bateau et parcourut la campagne à bicyclette avec un phonographe Edison et des cylindres en cire bien ficelés au porte-bagages. L'avènement de l'enregistrement sonore apportait une technique mécanique nouvelle de fixation sur une matière des documents sonores qui devenaient, dans une certaine mesure, permanents et renouvelables. L'invention d'Edison permettait d'enregistrer sur des cylindres en cire qui, cependant, avaient une capacité très limitée. Par économie, Barbeau n'enregistrait qu'un couplet et notait les autres au moyen d'une sténographie personnelle. Ses enquêtes se poursuivirent à Charlevoix et en Gaspésie pendant les étés de 1916 à 1920. Tout alla si bien qu'il fit 3000 enregistrements sonores.

Au retour, Barbeau fit part de ses découvertes aux revues et journaux. Il communiqua son enthousiasme à d'autres chercheurs. En 1917, il rencontra l'archiviste du Palais de justice de Montréal, Édouard-Zotique Massicotte, qui s'était jadis intéressé à la chanson. Barbeau avait apporté un phonographe qu'il lui laissa après une séance fructueuse. Ainsi encouragé, Massicotte reprit goût à la cueillette de chansons traditionnelles de sorte qu'entre 1917 et 1921, il fit environ 1400 enregistrements sur cylindres en cire pour le compte du Musée national (Musée canadien des civilisations). Un de ses informateurs, Vincent Ferrier de Repentigny, battit le record par 10 enregistrements de plus que l'informateur de Barbeau, François Saint-Laurent. Une autre vocation inspirée par Barbeau fut celle du père Archange Godbout, de l'Ordre des frères mineurs, qui recueillit entre 1917 et 1919 une collection de 215 chansons dans les comtés de Sorel, Bagot, Dorchester et Portneuf. Un autre collaborateur vint s'ajouter, Adélard Lambert qui, né à Saint-Cuthbert (près de Sorel) en 1867, vécut aux Etats-Unis à partir de l'âge de deux ans. De retour au Québec, visitant son village natal, il enregistra 367 chansons entre 1919 et 1928.

En 1924, par l'entremise du sénateur Pascal Poirier, les collections de Barbeau s'enrichirent de 110 pièces chantées, notées à la main, à l'Île-du-Prince-Édouard, par l'abbé P. Arsenault, curé de Mont-Carmel, assisté pour la musique par l'abbé Théodore Gallant, curé de Sturgeon. D'autres collaborateurs occasionnels communiquèrent des chansons à Barbeau, parmi lesquels Jean-M. Lemieux, Georges Mercure, J.-E.-A. Cloutier, Mme C. Cyr, Charles Marchand, Gustave Lanctot, Philippe Angers. Au total, les enregistrements de chansons folkloriques sur cylindre en cire réunis par Barbeau au Musée national dépassent 5000 et les chansons manuscrites (non enregistrées) atteignent presque 5000, totalisant environ 10 000 versions de chansons traditionnelles.

Barbeau et ses collaborateurs avaient commencé à diffuser certaines de ces chansons dans les journaux et les revues. Un groupe de chansons recueillies par Massicotte parut dans le Journal of American Folk-Lore en 1919; également, Massicotte présenta quelques chansons avec commentaires dans le Bulletin des recherches historiques.

Massicotte et Barbeau créèrent les Soirées du bon vieux temps consacrées aux chansons, contes et danses folkloriques; elles eurent lieu en 1919 à la salle Saint-Sulpice de Montréal (auj. BN du Q) et leur succès fut considérable. Dans le cadre des festivals du CP à Québec en 1927 et 1928, Barbeau organisa des concerts avec quelques-uns de ses informateurs et de ceux de Massicotte qui rivalisèrent avec des artistes de grande renommée. Ces spectacles donnèrent l'occasion à Barbeau et à ses collaborateurs de diffuser le résultat de leurs cueillettes parmi le grand public et surtout parmi les artistes qui ne manquèrent pas d'en faire des harmonisations pour choeur et des accompagnements pour piano. On en tira même des spectacles qui tiennent de l'opérette comme Le Bouquet de Mélusine (1928, Montréal, New York 1928) par Louvigny de Montigny et Healey Willan (L'Ordre de Bon Temps). En 1929 et 1930, Barbeau et Graham Spry organisèrent pour le CP des concerts de musique canadienne qui firent connaître dans tout le Canada les chansons recueillies mais présentées par des artistes professionnels dont Rodolphe Plamondon.

Barbeau préparait en même temps un recueil qu'il publia en 1937 après 21 ans d'enquête et de recherches, Romancero du Canada. Le titre même de l'ouvrage étonna un peu ses contemporains qui, avec Frédéric Pelletier, auraient préféré Florilège à Romancero. Mais Barbeau voulait afficher clairement la méthode scientifique de présentation de son modèle français, le Romancero populaire de la France (Paris 1904) par Georges Doncieux. Cependant, sans appliquer intégralement la méthode des romanistes français de la restitution de la forme primitive en fabriquant un texte critique avec l'ensemble des versions connues, Marius Barbeau en fit une adaptation en composant le sien avec les versions uniquement canadiennes, ce qui rencontrait le but de l'ouvrage qui était de donner un texte verbal esthétique capable de plaire au grand public et aux artistes. La mélodie n'était pas choisie, comme pour l'ouvrage français, parmi les plus primitives mais parmi les plus belles artistiquement. Cependant, les deux ouvrages s'accordaient pour ne pas composer de mélodies critiques. Barbeau termine par la formule rythmique et l'analyse musicale dues à la collaboration d'une musicologue française bien connue, Marguerite Béclard d'Harcourt qui a aussi préfacé l'ouvrage. Le recueil fut accueilli avec fierté par les Canadiens français. Frédéric Pelletier donna le ton en ces termes : « Saluons celui qui nous révéla que nous possédons un trésor inestimable que nous avons, sans doute, puisé en France au point qu'elle l'ignore aujourd'hui, et que nous avons transformé à notre génie propre » (« Un livre que nous devrions tous nous procurer », Le Devoir, Montréal, 8 mai 1937).

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Source : L'Encyclopédie Canadienne

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