Nationalité : turque. Profession : "Danseur du ventre"



Quand l’animateur annonce l’arrivée sur scène de Diva, dans le « Caravansérail » du village de Kayaköy, un certain amusement se lit sur les visages du public, composé majoritairement de touristes anglais, russes et polonais.

Diva arrive, agitant de longues ailes argentées, façon « Priscilla, folle du désert », vêtu d’un pantalon noir bouffant, le torse nu, couvert de paillettes, de longs gants argentés recouvrant ses avant-bras. Diva est danseur professionnel et se produit depuis quelques années dans les bars et restaurants d’Ankara et sur la côte Sud pendant la saison touristique estivale. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Sauf que Diva est un danseur oriental, un zenne…

Comme ces touristes qui profitent de leur séjour « tout compris » sur la côté méditerranéenne turque, la plupart d’entre nous ne peuvent imaginer la danse orientale, communément appelée « danse du ventre », autrement qu’exécutée par une femme très maquillée, aux poignées d’amour marquées et vêtue d’un costume deux pièces échancré et scintillant. La danseuse du ventre se doit d’être exagérément féminine et sexuellement provocante. Un homme ne pourra au mieux qu’imiter les performances de ses collègues féminines. Pourtant, rien dans l’histoire de la danse orientale, raks al sharqi en langue arabe et oryantal dansı en turc, n’en fait l’apanage du monde féminin.

Les origines de la danse orientale sont discutées et le manque de travaux scientifiques sur ce sujet rend difficile l’identification de ses débuts. Certaines sources font remonter son origine aux danses indigènes de l’Egypte antique, d’autres à la Grèce d’Alexandre le Grand. Pour certains, cette danse s’est répandue durant les migrations des peuples romanis et des ethnies venues du Rajasthan, au Nord-Ouest de l’Inde. D’autres encore pensent que celle-ci est originaire d’Ouzbékistan et serait arrivée en Inde avec le commerce des esclaves. La théorie la plus répandue demeure cependant la suivante : la danse orientale serait issue d’une danse religieuse, dont la location géographique et temporelle reste incertaine, mais elle est reconnue comme étant une des danses les plus anciennes du monde, en particulier dans les régions du Moyen-Orient et du Maghreb. A la question de savoir à partir de quand et où les hommes ont commencé à faire partie du monde de la danse orientale, d’après les informations dont on dispose aujourd’hui, on pourrait répondre toujours. Contrairement aux idées reçues, cet art n’est et n’a jamais été exclusivement féminin. Sur de nombreuses miniatures datant de différentes périodes de l’empire ottoman, on peut voir de jeunes hommes et garçons dansant en public. Dans les harems, danseuses et musiciens divertissaient les femmes. Les danseuses, ou rakkase, dont la profession était interdite aux femmes musulmanes, ne pouvant se produire devant des hommes, les hommes regardaient donc des spectacles de rakkas masculins, qui pouvaient être musulmans ou non. Ces danseurs étaient si populaires que de nombreuses bagarres de rivalité avaient lieu et ils furent prohibés pendant un temps autour de 1830. Ils furent autorisés à nouveau peu de temps après, mais le déclin de l’empire ottoman lié à l’adoption de goûts occidentaux et le désir de modernisation conduiront ce type de danse à tomber dans un quasi-oubli à Istanbul et dans les autres pays de l’empire. Pendant un temps du moins… La version moderne de la danse orientale renaît de ses cendres en Egypte dans les années 1930 en communiquant une image idéalisée de la grâce, de la beauté et du glamour féminins.

Cette danse arrive en Europe et en Amérique au milieu des années 1930 et 1940, donnant naissance au fameux costume deux pièces, brodé de pierres et paillettes et que nous associons aujourd’hui à la danse orientale. La danse masculine orientale actuelle, qui se démarque d’une simple imitation de la version féminine par des techniques différentes, se développe aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970 grâce à des danseurs comme Ibrahim Farrah. Plutôt que de danse «du ventre», il s’agit d’une danse de presque tous les muscles du corps, et dans le cas d’un homme, d’une performance athlétique et d’un exercice de souplesse et de coordination.

Le lendemain, je rencontre Diva, de son vrai prénom Ali Murat, autour d’un verre de thé. Ali Murat a toujours aimer danser, mais c’est un peu par hasard qu’il est devenu danseur oriental il y a dix ans. Alors qu’il est encore étudiant en ingénierie du bâtiment à Ankara, une amie lui propose de monter sur scène dans le restaurant que gère sa mère à Ankara. Ce sera son premier spectacle, qui sera suivi par d’autres. Mais ce n’est que lorsqu’il décide d’abandonner ses études et lors d’un séjour à Bodrum, station balnéaire de la côte turque, qu’Ali Murat deviendra Diva, surnom suggéré alors par une connaissance et devenu depuis bien plus qu’un nom de scène. Ali Murat commence à se produire dans les bars et hôtels touristiques de la côté. Il est rapidement l’objet d’articles de journaux et est invité sur des plateaux de télévision. La danse orientale devient, à côté des cours qu’il donnera par la suite, son gagne-pain et surtout sa passion, qu’il ne se lasse pas de décrire. Concernant sa famille, il se montrera par contre peu volubile. On saura seulement qu’il n’entretient plus de relations avec son père, un policier à la retraite, depuis qu’il a décidé de faire de la danse son métier.

Quelle est la place pour le métier de danseur oriental dans la société turque ? Selon Ali Murat, nombreux sont ceux qui s’y essaient plus par appât du gain facile que par réel amour ou intérêt pour cet art, et abandonnent rapidement. Quant aux véritables danseurs, difficile pour eux de sortir de l’image de quasi-drag queens dont on les affuble souvent. Au-delà du côté paillettes, la question des danseurs masculins en Turquie touche de près à de difficiles questions de société. Les danseurs orientaux sont souvent considérés comme des sortes de travestis, forcément homosexuels, symboles pour beaucoup d’une dégénération des mœurs. La présence à la télévision de présentateurs travestis ou le cas de la chanteuse transsexuelle Bülent Ersoy, littéralement adulée dans tous le pays par toutes les couches de la population, restent souvent un mystère à l’étranger. Mais en réalité, ces personnages se limitent pour beaucoup à un rôle de caricature délibérément excessive. La reconnaissance sociale des danseurs orientaux en Turquie souffre du même problème. Tant que ceux-ci se limitent à une imitation caricaturale de danseuse, dans un cadre de divertissement, ils pourront être appréciés. Les difficultés commencent quand ils cherchent à se libérer de cette image. Ali Murat se souvient d’une émission de télévision sur la chaîne turque ATV à laquelle il devait participer il y a quelques années. Au dernier moment, son spectacle fut annulé. La raison invoquée : l’émission devait être montrée l’après-midi et Ali Murat se produisait –comme de nombreux danseurs orientaux- torse nu... Mais les choses évoluent. Les années 1990 et les déhanchements du chanteur turc de musique pop Tarkan donnent naissance à un véritable engouement en Turquie et dans les capitales européennes pour la danse orientale masculine. Interrogé au mois de janvier par l’agence Reuters, le danseur Prens Alex expliquait : « Il y a des métiers plus marginaux que le mien. J’étais marginal il y a dix ans. Maintenant, vous pouvez assister à un striptease ou voir un DJ torse nu ».

Le regain d’intérêt pour la danse orientale a donné naissance à une nouvelle génération d’artistes masculins, dont on ne sait cependant pas encore combien survivront à l’effet de mode. Pour son spectacle à l’hôtel Öludeniz Resort, surtout fréquenté par des Allemands et des Turcs d’Istanbul, Ali Murat, redevenu Diva, a choisi ce soir un costume doré à franges. Même s’il est encore difficile d’imaginer des danseurs orientaux masculins vivant ouvertement à Diyarbakir –à l’Est de la Turquie- ou à Konya –ville de l’Anatolie centrale, connue pour son conservatisme prononcé- au moins, comme il se plait à le rappeler, à Ankara ou Bodrum, Diva mène une vie tout ce qu’il y a de plus normale…

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